La légende de Pipiri-ma conte l’histoire de deux enfants insatisfaits qui se sauvèrent, furent emportés par un gigantesque cerf-volant et se transformèrent en trois étoiles que l’on peut admirer dans le ciel de Tahiti.

La pêche au flambeau

Par une nuit splendide, Taua Tiaroroa et Rehua, sa femme, quittent à pas légers leur demeure où, sur de moelleuses et fraîches nattes, dorment paisiblement leurs petits enfants Pipiri et Rehua, sa sœur. La pirogue gisante sur le sol, promptement dépouillée de son abri de feuilles sèches, est mise à flot, les deux époux s’y élancent et allument un rama. En quelques coups de pagaie les voilà au large où ils vont pêcher au flambeau (illustration 2). Les poissons de la baie et jusqu’au plus petit crabe viennent se prendre dans leurs filets. Aussi nos heureux pêcheurs ne tardent-ils pas à regagner le rivage.

Taua Tiaroroa apprête le umu (four) en toute hâte et bientôt, disposé sur les cailloux rougis au feu, le poisson grille en répandant au loin une odeur appétissante.

Pêche au flambeaux. Photo A Sylvain

Pêche au flambeaux. Photo A Sylvain

Un bon parfum de poisson cuit

Cependant Pipiri-ma (Pipiri et sa sœur) ne dorment plus. Impatients d’apaiser la faim qu’excite en eux le parfum du poisson cuit, ils sont déjà assis sur leur couche, munis chacun d’un morceau de maiore (uru) et d’une coupe en coco pleine de pape miti (eau de mer pour assaisonner le poisson).

Comment se fait-il qu’on ne les appelle pas encore pour manger ? s’inquiètent-ils et leurs yeux se mouillent de larmes.
Rehua, la mère, fait diligence pourtant, et, en guise d’assiettes, étale de larges feuilles de purau, où elle dispose le maiore cuit, le taioro, le miti no’ano’a (eau de mer parfurmée et le popoi fe’i. Des cocos dépouillés de leur enveloppe fibreuse sont ouverts et laissent voir leur doux nectar limpide.
« Tout est prêt, dit-elle joyeuse à son mari, va, maintenant, va éveiller nos petits amis. » Mais Taua Tiaroroa craint d’interrompre le sommeil de ses chers enfants. Il hésite et répond « Non, ne les réveillons pas, ils dorment d’un profond sommeil ! »

Ne les réveillons pas !

Et pourtant Pipiri-ma attendent et se consument d’impatience dans le fare moe (chambre). Les paroles de leur père les attristent et les blessent profondément. Eux que l’on appelle toujours pour venir se régaler du produit de la pêche au flambeau, on les délaisse aujourd’hui ! Rehua, toute pensive, mange à peine et songe à ses petits amis. Le repas achevé, elle se dirige avec son mari vers le fare moe.

En les entendant approcher : « Sauvons-nous ! » disent Pipiri-ma. Mais la porte est fermée alors ils se fraient un passage à travers les branches sèches de purau qui forment le pourtour de la case et vont se blottir au dehors sous l’auvent qui la protège. Les parents s’avancent à pas comptés et palpent doucement dans l’obscurité les nattes encore chaudes… Mais où sont donc les enfants ?
« Nos petits amis n’y sont réellement pas ! » s’exclame Rehua d’une voix brisée par l’émotion. Ils parlent, ils palpent de nouveau et leur inquiétude est à son comble, car la couche est déserte !

Taua Tiaroroa et Rehua aperçoivent alors l’ouverture par laquelle les enfants se sont échappés ; ils s’élancent au dehors en appelant « E Pipiri-ma ! Pipiri-ma ! »

Les enfants, se voyant découverts, s’enfuient à toutes jambes et ne s’arrêtent hors d’haleine que sur le sommet d’une montagne. Le frère précède sa sœur plus faible, qu’il entraîne par la main. « Retourne vers nos parents, lui dit-il, retourne ».Mais celle-ci pleure et ne répond pas, car c’est son frère qui est l’auteur de cette belle équipée. Les parents approchent toujours !

Un cerf-volant flottait dans le ciel

Un cerf-volant flottait par là d’aventure, Pipiri-ma se cramponnent à sa queue et se laissent emporter vers les cieux.

A cette vue, les parents se lamentent et s’écrient : « E Pipiri-ma Pipiri-ma Revenez vers nous ! » mais les enfants répondent : « Non nous ne reviendrons pas, la pêche au flambeau serait encore mauvaise, ce ne serait pas une pêche pour les enfants !! »
Et les parents de crier encore, de crier toujours : « E Pipiri-ma ! Pipiri-ma ! Revenez, revenez vers nous »
Mais les enfants : « Non nous ne reviendrons pas, la pêche au flambeau serait encore mauvaise, ce ne serait pas une pêche pour les enfants ! »

« C’est assez crié, dit Taua Tiaroroa à sa femme, tu vois bien que nous ne pourrons jamais les rejoindre retournons et ne nous obstinons pas davantage. »
Rehua n’entendait plus son mari, folle de douleur, elle répétait « E Pipiri-ma ! Pipiri-ma ! Revenez, revenez vers nous ! »
Et dans le lointain allaient s’éteignant ces paroles si cruelles pour la pauvre mère : « Non, nous ne reviendrons pas, la pêche au flambeau a été mauvaise, elle n’a pas été une pêche pour les enfants. »

Voilà Pipiri-ma, les Ainanu changés en étoile

Depuis ce temps, lorsque les belles constellations du Sud apparaissent dans tout leur éclat sur le ciel pur de Tahiti, les Tahitiennes montrent du doigt le scorpion et disent : « Voilà Pipiri-ma, les Ainanu changés en étoiles. Un soir, ils furent emportés à la queue d’un cerf-volant qui, lui aussi, fut métamorphosé en un brillant flambeau rouge. » L’âme attristée par cette légende, un instant elles s’arrêtent, puis, après avoir considéré le ciel, elles reprennent leur marche en murmurant à demi voix cette parole plaintive « E Pipiri-ma ! …

La pierre de Pipiri-Ma à Huahine

La pierre de Pipiri Ma, se trouve à Huahine à la sortie de Fare à gauche en allant vers l’aéroport. Mais il faut être bien informé car aucun panneau ne signale cette pierre légendaire. Au contraire, un poteau électrique a été planté juste devant, sans que les responsables du tourisme de Huahine ne s’en offusquent.

La pierre de Pipiri-Ma à Huahine
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Sources :

Illustration Sarahina.
Gilbert Cuzent, Archipel de Tahiti 1860, Histoire des Aimanu, légende de Pipiri Ma.  Réédition éditions Haere Po, 1983 (pp. 161-163).
Ioana Atger, Pipiri ma enfants de Tahiti. Bull. Société des Océanistes n°310 Août-septembre 2007 p 73.
Constant Guéhennec. Pipiri ma selon Gilbert Guzent.Bull. Société des Océanistes n°310 Août-septembre 2007 p 104.